La France a violé le droit à la liberté d'expression en infligeant de lourdes amendes aux éditeurs du livre du général Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957. C'est le sens de l'arrêt rendu, jeudi 15 janvier à Strasbourg, par la Cour européenne des droits de l'homme.
Les magistrats ont donné raison aux plaignants, les ex-directeurs des éditions Plon et Perrin, Olivier Orban et Xavier de Bartillat, jugés coupables par le tribunal correctionnel de Paris, en janvier 2002, puis en appel en 2003, d'apologie de crimes de guerre. L'un et l'autre avaient été condamnés à 15 000 euros d'amende. Le général Aussaresses avait été condamné pour sa part à 7 500 euros.
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Dans cet ouvrage, publié en avril 2001, le vieux général à l'oeil bandé poursuivait ses premières révélations faites au Monde, en novembre 2000, dans lesquelles il expliquait comment l'armée française avait écrasé les indépendantistes algériens après que le pouvoir politique s'était défaussé sur elle de cette "sale besogne". Au fil des pages, Aussaresses confirmait avoir fait torturer systématiquement ses prisonniers, mais, surtout, il révélait avoir pendu à Alger, en mars 1957, le haut responsable du FLN, Larbi Ben M'Hidi, et fait précipiter dans le vide l'avocat Ali Boumendjel. Jusque-là, la thèse officielle - qui prévaut aujourd'hui encore - était que les deux hommes s'étaient suicidés.
Exprimés sans le moindre état d'âme, et même sur un ton cynique, ces aveux avaient fait scandale en France et en Algérie. Ils avaient provoqué l'affolement de certains anciens hauts gradés de l'armée française, qui redoutaient de voir dévoilé leur comportement passé en Algérie en dépit des lois d'amnistie. Aussaresses, lui, avait été dégradé de sa Légion d'honneur, sur ordre de Jacques Chirac, à l'époque chef de l'Etat. Il en avait conclu qu'il avait été sanctionné non pour ce qu'il avait fait mais pour ce qu'il avait dit.
"TÉMOIGNAGE"
Jeudi, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que le fait qu'Aussaresses "ne prenne pas de distance par rapport à ces pratiques atroces" est "un élément à part entière de ce témoignage". Pour elle, le livre est "d'une singulière importance pour la mémoire collective" et Aussaresses n'y est "pas glorifié". Olivier Orban et Xavier de Bartillat se voient du coup allouer 33 000 euros pour dommage matériel.
"L'histoire l'emporte sur les faux-semblants et le politiquement correct. Et surtout, ça valide l'idée que je me fais de mon métier d'éditeur d'histoire", se réjouit Xavier de Bartillat. Le général Aussaresses, qui vient de fêter ses 90 ans, rêve déjà de récupérer sa Légion d'honneur, "la seule chose qui compte pour moi", dit-il. Son avocat, Gilbert Collard, le soutient dans cet objectif et a l'intention "d'engager sans attendre" des démarches en ce sens.
Quant à Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'homme, qui avait poursuivi Aussaresses (non ses éditeurs) pour apologie de crimes de guerre, il est consterné. "Je redoute que beaucoup interprètent l'arrêt de la Cour européenne comme une réhabilitation d'Aussaresses", déplore-t-il.